Chroniques d'une amoureuse littéraire
Quand lire devient une maladie !
Après avoir lu Bouquiner d'Annie François, je me suis mise à penser à ces habitudes, ou plutôt, ces rituels qui déifient ma vie de lectrice. Naguère ces jours-ci, je ne les avais point observé, car ils sont des fragments d'une routine littéraire largement ancrée dans mon quotidien et qui me suivra jusqu'à ma mort puisque une lectrice restera toujours une lectrice. Et ma foi, je n'avais pas réalisé certains habitudes aussi étranges que précieuses...
Toute manie débute par un simple petit geste. Dans mon cas, je n'ai aucun souvenir quand ces habitudes ont pris d'assaut ma vie et je pense peut-être qu'elles sont venues d'elles seules. Et bon nombre d'entre elles se plaisent à harceler une grande majorité de lecteurs, quels qu'ils soient. C'est à la fois une malédiction et une bénédiction, dépendament dans quelle situation nous nous trouvons. Je dirais que nous souffrons du syndrome du lecteur, une maladie pernicieuse qui attaque nos neurones et qui nous empêche de passer devant une librairie sans tomber dans un état de transe ou qui nous oblige à collectionner fougueusement tout ce qui ressemble à un bouquin. Elle entraîne quelques fois la méfiance à l'égard de ceux qui voudraient s'octroyer nos livres ou la dépression lorsque le porte-feuille ne veut plus cracher ses petits papiers. Voici une liste de tous les symptômes auxquels je suis atteinte ( et je ne suis pas la seule ! ).
Somnambulisme volontaire précoce : Un secret jamais dévoilé jusqu'ici ! Oui, j'ai déjà passé outre le couvre-feu pour sortir un livre de sous ma couette et lire avidement alors que la lumière parvenait à peine sur la page. Pas toujours, bien évidemment, mais plusieurs fois, dès l'âge où je dévorais les romans jeunesses auréolés de dragons et de magie. Lorsque j'entendais le murmure d'un pas, je bondissais de peur et je me plongeais sous mes couvertures pour feindre de dormir. Et souvent, je jouais si bien le jeu que je m'endormais pour de vrai. Certains vont jusqu'à passer une nuit blanche : dans mon cas, j'étais plus responsable et je ne dépassais jamais dix heures. De toute façon, le sommeil gagnait souvent sur le plaisir de la lecture.
Troubles compulsifs de la possession : Une lectrice passionnée qui n'a pas une collection de livres n'en est pas vraiment une. Ma bibliothèque peut déborder de toutes les étagères, n'empêche que je ne peux me résoudre à ne plus acheter de livres. Je sors l'excuse la plus évidente : je fais ma réserve littéraire pour le futur. Chaque livre, même le plus mauvais, fait partie de mon essence et je leur accorde toute mon affection. En effet, qui n'a jamais eu de la difficulté à se débarrasser d'un bouquin, peu importe son contenu, ou même à le prêter ? Dès que nous entrons en contact avec les pages d'un livre, le trouble compulsif de la possession nous guette, nous devenons ami intime avec l'âme de l'ouvrage en question et jamais nous n'oublions son histoire. Un sentiment qui nous pose problème lorsque nous empruntons à la bibliothèque municipale. C'est pourquoi je préfère toujours me procurer personnellement les livres afin que le lien dure plus longtemps que trois semaines. Autre point : nous détestons que quelqu'un touche à nos romans. C'est un de mes troubles : je n'aime pas qu'une main n'ayant jamais touché un livre vienne se poser sur l'un des miens, le manipule devant mes yeux, mais sans lui accorder la moindre importance. Ou que des personnes s'apprêtent à jeter immoralement un livre aux poubelles : un trou au coeur !
Boulimie ou anorexie chronique : Ouf... ces fameuses passes de famine ou de satiété. La boulimie est, en littérature, une faim quotidienne et qui ne se résorbe qu'après plusieurs semaines ou mois, dépendament du lecteur. C'est un état merveilleux lorsque nous avons de multiples livres sous la main, mais devient un diabolique sentiment quand il nous est impossible de nous rassasier ( ce qui est plutôt rare ). On rumine, on se traîne partout dans la maison en quête de savoureuses histoires et surtout, on dévore rapidement tous les bouquins. Cela m'arrive généralement plusieurs fois dans l'année. L'anorexie, elle, est davantage contraignante, car nous n'avons plus le désir de lire quoi ce soit. Le goût n'y est plus et ce sentiment nous décourage étrangement. On remet en question notre statut de lecteur et on implore la vie de nous redonner la passion de la lecture. Cette anorexie est communément appelée la " panne de lecture " et ce fait plutôt rare. Dans mon cas, une fois par an et elle ne dure qu'une ou deux semaines.
Dépression passagère : Qui n'a jamais eu une dépression suite à une promenade fugace devant une librairie sans y être entré ou sans avoir acheté un livre ( plutôt rare ) ? Passer à côté d'une telle boutique peut paraître bénin pour les autres, mais pour un lecteur qui se respecte, c'est un combat intérieur. Le regard n'a plus qu'une seule image, la faim monte, le porte-feuille fait crier ses trésors, les pas ralentissent, les mouvements se font plus lents, les conversations deviennent futiles. C'est comme si les livres appelaient notre aide et nous parlaient à travers la vitre. Cela m'arrive continuellement et lorsque je ne peux y rentrer, je deviens dépressive pendant quelques minutes, le vide s'installe et soudain, je renais dans la réalité en oubliant cette impression d'abandon. Même chose lorsque je ressors sans un seul roman sous les bras : j'ai le sentiment d'ignorer les cris implorés de tous ces objets précieux et d'être cruelle vis à vis mon amour littéraire. Toute une impression, n'est-ce pas ?
Il y a bien d'autres symptômes à notre mal, mais ce sont les principaux et nos manies quotidiennes. Et bien que certaines soient difficiles à gérer, nous ne renoncerons jamais à notre statut de lecteur, car comme c'est une maladie sans effet négatif pour la santé ( à moins d'avoir un problème psychologique flagrant... ), pourquoi la détester ? C'est un syndrome habituel qui met du piquant dans nos aventures livresques !
Commentaires
Suis pareille... c'est fou à quel point cette maladie court!!
J'ai les mêmes symptômes ... malade moi aussi je suis
Bonjour Shana,
J'ai adoré ton texte, chère amoureuse des livres. Je m'y suis reconnu dans chaque phrase !
Quel plaisir d'avoir cette maladie dont on ne veut pas guérir.
Merci d'avoir mis des mots sur ce trouble compulsif qui nous habite et qui enjolive nos vies ... et notre bibliothèque !
Un hymne au plaisir de posséder les livres !
Amitiés