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Titre du blog : Au coeur des mots
Auteur : Shana
Date de création : 18-09-2008
 
posté le 19-04-2010 à 04:11:21

Là où la mer commence de Dominique Demers

Là où la mer commence

De Dominique Demers

 

 

 

 

 

Éditions : Robert Laffont

Année : 2001

Pages : 210

Catégorie : Romans d’amour

Âge : Dès 10 ans

Temps de lecture : Cinq jours

Résumé : Et si la Belle et la Bête avaient vécu en terre québécoise, au XIXe siècle?... - J'ai inventé un autre jeu, dit-il. Une sorte de course aux trésors. Maybel était tout oreilles. La Bête fit une pause, comme s'il avait besoin de soupeser chaque mot avant de poursuivre.
- J'ai dix merveilles à vous faire découvrir.
- Et à la fin, qu'est-ce qu'on gagne? demanda Maybel amusée.
- Mon coeur! dit la Bête d'une voix bourrue où perçait la rancoeur.

La Belle, c'est Maybel, jeune fille ardente et lumineuse qui vit dans une drôle de famille. Son père, Alban, gardien de phare solitaire, a épousé une ravissante Anglaise qui n'aimait pas la mer et s'est enfuie en abandonnant sa fille de deux ans.
La Bête, c'est William Grant. Affublé d'un masque étrange, il a débarqué un beau jour le long des berges du Saint-Laurent, avec son père l'Écossais, qui veut le soustraire au monde pour mieux le protéger.
Maybel et William sont épris de liberté et de nature. Dans un pays de caps battus par une mer enragé, d'anses secrètes envahies par le tumulte des goélands et les hurlements des loups marins, dans un décor étrange et fabuleux, hanté par les fantômes mais protégé par les fées, ils vont se découvrir. Et s'aimer...

 

Source : archambault.ca 

 

Mon avis ( dans le cadre de mon défi La plume québécoise ) : Un beau roman, comme je les aime, une histoire dénuée de toute modernité basée sur des valeurs inaltérables tout en étant parfumée d’un romantisme simple sans qu’il ne frôle l’extravagance. La plume de l’auteure nous délivre ainsi un récit qui se sépare en deux sujets, mais qui se rejoignent pour reformer un ancien conte, celle de la Belle et la Bête. L’amour y est au rendez-vous, bien évidemment, mais dans un contexte davantage poétique, ne ressemblant guère de cette façon aux amours contemporains dont le seul vrai sens est oublié. De cette façon, j’ai eu l’honneur de lire une vraie histoire d’amour limpide et délicate qui apporte en même temps des vertus de liberté, d’abandon envers la nature, de tendresse, d’ouverture d’esprit et de spiritualité au lecteur. L’autre sujet abordé est celui de la différence, tant le racisme que l’ouverture d’esprit ; comment l’amour peut coexister malgré la dissemblance, malgré l’apparence physique qui est plus difficile à accepter en tant que personne. Au début, le tracé de l’histoire est lent, j’ai eu quelque difficulté à saisir qui était la narratrice. Une jeune fille embarque dans un train faisant voyage jusqu’à Ste-Cécile et c’est au sein du cahier qu’elle tient entre les mains, un don de sa grand-mère, que nous nous retrouvons à arpenter les délicieuses contrées de l’île, entre les plages balayées par le vent et la mer, les côtes endiablées de liberté fouettées par les vagues, les forêts truffées de révélation et les grottes aux tonalités feutrées. Là-bas, Maybel ensoleille l’existence des habitants et celle de sa complice, narratrice du récit ( la grand-mère de la jeune fille du début ). Lors d’une journée banale, le quotidien de Maybel va basculé spontanément lorsqu’un riche écossais débarque sur l’île pour s’enfermer dans son château avec son fils, déjà victime des préjugés des citoyens qui le surnomment vicieusement « la face pourrie » à cause du terrible masque qui englobe son visage, objet de tant de rumeurs. Maybel, après tant d’obstacles et de rendez-vous, va appendre à apprivoiser « la Bête » sur son territoire tandis que celui-ci va lui enseigner les subtilités de la vie dans toute sa douceur, écrasant peu à peu la méfiance qui le submergeait. C’est dans cette tendre atmosphère d’amitiés que va naître les premiers reflets de l’amour, refaisant jaillir ainsi un antique récit conté lors de notre enfance.  

 

Dès notre première rencontre avec Maybel, dit « la Belle », il est impossible de ne pas être subjugué par son allégresse, son sourire bonifiant, ses yeux violâtres qui séduisent tant d’hommes et sa juvénilité scintillante dont l’ardeur de sa personnalité va l’entraîner hors des sentiers battus. Par l’entremise de son amie à qui elle témoigne toutes ses confidences, nous la suivons dans ses nombreux rendez-vous avec William Grant, dit « La Bête ». Celui-ci, isolé dans sa solitude, a acquis depuis son sinistre accident, qui l’oblige à masquer son visage, un merveilleux dévouement envers la flore et la faune dans lesquelles il passe ses journées à se recueillir devant les joyaux du monde. De même, il a hérité d’une culture sans pareille en parcourant les ouvrages qui parsèment la bibliothèque du château, lui octroyant un langage et une philosophie soignés. Cependant, malgré ses nobles loisirs, le poids des préjugés lui pèse et l’indifférence de son père lui tord douloureusement l’esprit. C’est en faisant rencontre avec Maybel qu’un nouveau faisceau de lumière va filtrer dans son cœur. En lui apprenant les merveilles de l’écosystème et l’humble contemplation de la beauté spirituelle, il va également apprendre auprès d’elle à laisser de côté son caractère sauvage, à faire confiance à autrui et à ne plus craindre son visage qui provoque tant de terreur. Or, leur histoire ne se fera pas sans difficulté puisqu’ils devront passer par-dessus leurs légères altercations, le racisme injustifié de quelques habitants, la colère du riche écossais et les rumeurs dépravantes qui circulent à leur sujet, de même que la tristesse, l’oubli et la douleur. Ces deux personnages m’ont bousculée et j’ai été saisie par la philosophie de William et sa plénitude au sein de la liberté. Quant à Maybel, c’est un minuscule soleil d’où jailli des élans de douce félicité. 

 

Par conséquent, ce fut un romanesque moment de lecture qui, sans être un coup de cœur, m’a tout de même procuré un grand plaisir littéraire. La fin n’est que le retour des choses et j’applaudis fortement cette conclusion qui nous fait rêver davantage. Même si je n’ai pas complètement adhéré à la plume de l’auteure lors des prémices de l’ouvrage, j’ai appris à apprécier doucement cette écriture simple, douce et familière au sein de laquelle j’ai retrouvé avec grand bonheur mon identité québécoise. Un récit taillé de personnages attendrissants, d’illustres valeurs, d’un sujet troublant qui ne nous est pas étranger, de paysages vouant honneur à la beauté du Québec et plus que tout, d’une histoire d’amour dont les éclats ne sont que pureté et honnêteté. Un fabuleux roman à découvrir ! Je continuerai bientôt ma route auprès de l’écriture de Dominique Demers dans sa série Marie-Tempête qui sommeille sereinement sur mes étagères.  

 

Extraits préférés du roman : « C’était un masque de cuir, souple et fin, noué derrière la tête avec quatre brins. Le front découvert du jeune homme révélait une chair meurtrie. Sa chevelure fauve était abondante, mais il n’avait plus de sourcils. Rien ne préparait à la vue des yeux immenses qui semblaient dévorer ce visage. Sous ce regard noir, obsédant, le masque était plaqué sur une chair qu’on devinait ravagée, car le cuir mince se plissait et se creusait par endroits, notamment au milieu du nez. Une large ouverture révélait une bouche quasi intacte. De près, toutefois, on remarquait que les lèvres étaient rongées à la commissure, d’un seul côté, celui du cœur. » p. 37. 


« - Ce matin, dit-il, j’ai rencontré un roi. Et hier, un prisonnier enfermé par erreur dans une prison maudite. La semaine dernière, j’ai entendu chanter des sirènes. Je connais un homme prêt à se battre contre des moulins à vent et j’ai déjà assisté à des combats sanglants, à des duels terrifiants, à des massacres hallucinants. Mais j’ai aussi vu des lutins courir dans la forêt à l’aube et j’ai épié des amoureux prêts à mourir l’un pour l’autre. Je sais qu’il existe une mer lointaine hantée par une baleine gigantesque qui a grugé le cœur d’un homme. Je sais également que je ne connais rien encore. Et qu’il ne me suffira sans doute pas d’une vie pour découvrir, en plus de la pluie, des escargots de mer, des hérons et des cormorans, des canards et des cerfs, des étoiles et des lunes, tous les personnages qui ont le pouvoir de vivre dans mon cœur et dans mon esprit. » p. 149.

 

Critiques d'ailleurs : Clairdelune